Collusion et rivalité dans l'Arctique

Le gouvernement Trudeau entreprend de militariser l'Arctique

Depuis la création de l'OTAN il y a 70 ans, les gouvernements canadiens successifs ont pour politique d'interdire les activités de l'OTAN dans l'Arctique canadien. Malgré cela, ils ont régulièrement invité certains pays de l'OTAN à prendre part à des exercices militaires dirigés par le Canada, tels que l'opération annuelle Nanook ou les exercices controversés de vol à basse altitude au-dessus du Labrador et du nord du Québec dans les années 1980 et 1990. Et, bien sûr, étant sous les structures militaires du NORAD et du NORTHCOM, dominées par les États-Unis, le Canada a participé à de nombreuses activités conjointes de nature bilatérale avec les États-Unis dans l'Arctique. De plus, au fil des ans, le Canada a participé à des activités collectives de l'OTAN en Norvège, les plus récentes étant les exercices à grande échelle « Trident Juncture 18 » tenus à l'automne dernier auxquels le Canada a contribué 2 000 militaires.

Néanmoins, même si le Canada a de loin le plus vaste territoire polaire des 29 pays de l'OTAN, aucun exercice à grande échelle de l'OTAN n'a eu lieu dans l'Arctique canadien.[1] Wikileaks a donné un aperçu des raisons des gouvernements canadiens précédents en publiant un certain nombre de câblogrammes américains confidentiels en 2011. Dans un de ses câblogrammes, des responsables américains racontent que Stephen Harper avait dit au secrétaire général de l'OTAN, Fogh Rasmussen, que le Canada s'opposait à « un rôle de l'OTAN dans l'Arctique », que le Canada entretenait « de bonnes relations de travail avec la Russie en ce qui concerne l'Arctique et qu'une présence de l'OTAN pourrait avoir l'effet inverse en élevant les tensions ».[2]

Harper a en outre déclaré que « certains membres non arctiques étaient favorables à un rôle de l'OTAN dans l'Arctique, car cela leur donnerait une influence dans une région à laquelle ils n'appartiennent pas ». Il faisait sans doute référence aux pays « non arctiques » de l'Union européenne (UE) tels que l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni qui ont exprimé un grand intérêt pour l'utilisation du passage du Nord-Ouest du Canada, ainsi que pour l'accès aux ressources naturelles abondantes qui s'ouvriront dans l'Arctique avec la hausse des températures et le recul des glaces.

Le passage du Nord-Ouest serpente dans l'archipel nord du Canada. Cependant, les pays de l'UE ne reconnaissent pas la prétention du Canada que la voie de circulation se trouve dans les eaux intérieures du Canada. Des activités de l'OTAN dirigées par les États-Unis dans l'Arctique canadien renforceraient la position de l'UE selon laquelle le passage du Nord-Ouest est situé dans les eaux internationales. En conséquence, la revendication du Canada sur les eaux pourrait devenir nulle et non avenue.

Pour leur part, les États-Unis ne reconnaissent pas non plus la revendication du Canada sur le passage Nord-Ouest. Des activités de l'OTAN dans l'Arctique canadien pourraient également renforcer leur position. Mais il y a aussi un inconvénient pour les États-Unis. Actuellement, les États-Unis ont le Canada sous leur coupe, militairement, par le biais du NORAD et du NORTHCOM. Inviter d'autres pays européens dans l'Arctique nord-américain par le biais d'opérations menées par l'OTAN, notamment des concurrents comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, pourrait être contreproductif à long terme pour les intérêts des États-Unis.

En fait, l'accord bilatéral actuel entre les États-Unis et le Canada est très avantageux pour les États-Unis et convient à l'administration Trump qui préfère conclure des accords bilatéraux plutôt que multilatéraux avec d'autres pays. Il s'inscrit également dans l'objectif de consolidation de la « forteresse Amérique du Nord » des monopoles et des oligopoles.

Cependant, s'il est clair que les gouvernements canadiens précédents, tant libéraux que conservateurs, se sont opposés ou ont découragé la participation de l'OTAN dans l'Arctique canadien, le gouvernement Trudeau semble prêt à renverser cette position longtemps défendue par le Canada.

Par exemple, en 2017 le gouvernement a présenté ce qu'il a appelé une nouvelle politique de la Défense nationale sous le titre Protection, Sécurité, Engagement. Cette politique stipule : « Conscient de l'intérêt accru de la communauté internationale pour l'Arctique, le Canada doit améliorer sa capacité de mener des activités dans le Nord et travailler en étroite collaboration avec ses alliés et partenaires. » Il propose en outre une « nouvelle initiative » visant à « mener des exercices conjoints avec nos alliés et nos partenaires dans l'Arctique, et contribuer au renforcement de la connaissance de la situation et des moyens d'échange d'information dans la région, notamment avec l'OTAN. »[3]

Pour donner suite à cette politique, le Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes, présidé par le député libéral Stephen Fuhr, a publié un rapport en juin 2018 intitulé Le Canada et l'OTAN : une alliance cimentée par la force et la fiabilité.[4] Le ton du rapport et de nombreuses observations de témoins laissent entendre qu'une participation beaucoup plus étroite de l'OTAN dans l'Arctique est à l'ordre du jour.

Dans ses recommandations finales, le comité de la Chambre des communes déclare « que le gouvernement du Canada joue un rôle de premier plan au sein de l'OTAN pour se spécialiser dans la défense, la doctrine de sécurité et les capacités pour l'Arctique, et qu'il renforce la connaissance de la situation de l'OTAN en Arctique, notamment au moyen d'exercices militaires et d'entraînement interarmées dans l'Arctique canadien pour les membres de l'OTAN ».

Comme le suggère le libellé, la nouvelle politique pourrait entraîner une augmentation de l'activité militaire de l'OTAN dans l'Arctique canadien, voire sous la direction des États-Unis. Si tel est le cas, le gouvernement Trudeau risque de perdre la souveraineté canadienne sur le passage du Nord-Ouest, d'aliéner les peuples autochtones et non autochtones opposés à la militarisation de la région et d'accroître les tensions avec la Russie qui se voit encerclée sur plusieurs fronts par l'OTAN.

Notes

1. List of NATO exercises, Wikipedia, accédé le 18 mars 2019

2. « Canada PM and NATO S-G discuss Afghanistan, the Strategic Concept, and the Arctic », Wikileaks, 20 janvier 2010

3. Protection, Sécurité, Engagement, la politique de défense du Canada, Ministère de la Défense nationale, 2017

4. Le Canada et l'OTAN : une alliance cimentée par la force et la fiabilité, Rapport du Comité permanent de la Défense nationale, Chambre des Communes, Canada, juin 2018


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 13 - 6 avril 2019

Lien de l'article:
Collusion et rivalité dans l'Arctique: Le gouvernement Trudeau entreprend de militariser l'Arctique - Peter Ewart


    

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